Cette nouvelle exposition de Caroline Lamour s’articule autour de deux grandes thématiques : d’une part le monde du travail dans l’espace public et, d’autre part, les habitants dans un paysage urbain en mutation. Elle alterne le noir et blanc et la couleur et propose deux héliogravures.
Le noir et blanc urbain garantit une photographie faite de graphisme, de contrastes, de textures et de matières. Si la photographie urbaine est polymorphe, elle repose souvent sur le triptyque géométrie / texture / contraste auquel on peut ajouter la présence humaine et l’élément insolite ce qui est le cas ici. Quant à la couleur, jusqu’ici peu présente dans son œuvre, elle s’affirme là avec succès.
Dans cette série, Caroline Lamour fait une large place au monde du travail qui crée l’espace public. Pour ce faire, elle a recours à la couleur et c’est très beau !
Ce sont essentiellement les ouvriers du bâtiment (La Cène, 1 heure du matin, Chorégraphie, Dante) qui affirment leur présence. On les découvre de nuit ou de jour, travailleurs souvent « invisibilisés » répétant penchés des gestes pénibles ; l’outil est mis en valeur, sa présence accrue via les reflets. De même le vêtement acquiert toute son importance. Les difficiles conditions de travail sont évoquées dans 1 heure du matin, image qui suggère le froid, l’humidité (encore un reflet et une lumière blafarde) ; on sent les exhalaisons émanant des machines… Dante est pareillement une scène de nuit : vapeurs et lumière du casque de l’ouvrier nimbent le décor ; on devine le bruit. Une nouvelle image de chantier est représentée dans Flot : les ouvriers sont en plein effort, les outils bien présents, le tout rassemblé au sein d’un quadriptyque offrant une vue d’un décor animé par la courbe du tuyau et zébré de lignes géométriques.
Puis, c’est au tour de laveurs de vitres (La partition — diptyque) : la première image les saisit de loin collés à un édifice, encordés avec le ciel nuageux en arrière-plan ; la seconde est un détail, on découvre le geste courbe, l’eau moussue et le trait du fond qui révèle la corde soutenant l’homme.
Toujours en hauteur avec Haute voltige (diptyque) captant un trompe-l’œil d’ouvriers juchés sur un échafaudage, des hommes au repos devant un bâtiment de béton dans la première image puis bâché dans la seconde ce qui apporte un changement de texture…
L’héliogravure Le chantier est remarquable de lignes, de sillons au sol, certains se croisant, et l’ouvrier en marche domine fortement l’image avec son fardeau, son ombre noire comme gravée au sol.
Dans la brume, diptyque — forme que Caroline affectionne avec le quadriptyque — donne à voir la ville dans le brouillard ; on devine dans ce décor opaque des silhouettes verticales de bâtiments et des édifices en construction d’où la présence de grues. La ville évolue, la ville change… De fait la priorité est donnée au décor urbain récent dans ce projet sans que cela s’accompagne d’un jugement : nul regard péjoratif ni quelconque sentiment de déploration au vu de la métamorphose de la cité.
Dans la suite, on retrouve l’inclination forte de la photographe pour mettre en scène les habitants de manière aimante et on note à chaque fois l’empathie pour son sujet. Dolce vita, La casquette, Le défilé, Chats perchés, Rendez-vous manqué, Le funambule, L’obstacle, La piscine… sont de belles représentations qui fixent de jolis moments de scènes de vie et, en arrière-plan, la ville offre toujours ses lignes ou ses motifs : poteaux, lignes électriques, formes de bâtiments, perspectives de rues, courbes de bâtiments… Le mouvement est aussi bien figé comme dans L’envol qui donne également un bel aperçu de textures.
Le goût pour le graphisme est avéré dans la représentation de l’homme dans l’urbain.
Au pied du volcan est un bel exemple de photographie urbaine et architecturale : formes, textures, le tout avec une profondeur de champ bien nette.
Avec Poser son regard, la ville respire la tranquillité : deux jeunes gens sont allongés au bord d’un canal ; au fond, un édifice peint (street art) et des arbres. C’est une image bien nette qui inspire la sérénité.
Quant Au défilé, outre les trois sujets, il livre un décor effectué de lignes précises tant au sol qu’en arrière-plan.
Dans Rendez-vous manqué, la photographe se régale du cadre urbain. Au loin, un bâtiment en construction - grue - devant des marches claires accompagnées d’un garde-corps grillagé oblique (changement de lignes et de texture) tandis qu’au plafond soutenu par des piliers verticaux des lignes horizontales dominent. Dans la façade de la tour, un reflet donne une ombre.
Autre exemple de cette ville en devenir, Rêve américain dévoile les multiples constructions comme en témoigne la présence de la grue.
Notons que pour ces instants de photographie urbaine, le noir et blanc est prépondérant pour témoigner de l’ici et maintenant comme de l’avenir de notre espace public, s’inscrivant dans la tradition de la photographie humaniste et de rue.
Ainsi, avec cette deuxième exposition, Caroline Lamour diversifie avec bonheur son parcours en se tournant vers la photographie urbaine et d’architecture tout en conservant indéniablement ses qualités de photographe humaniste.
Françoise Pacha-Stiegler
Conservatrice en chef des bibliothèques